Le cloud vogue de succès en succès
En avril de cette année (2021), les géants de la tech ont dévoilé leurs résultats trimestriels. S’ils ont tous des résultats bien différents, une chose leur a tous fait progresser leur chiffre d’affaires : les services cloud. Ils avaient gagné de l’importance au cours de la pandémie, et les entreprises ont continué d’investir dans les infrastructures qui leur sont dédiées, rapporte Canalys. Au total, ce sont 42 milliards de dollars qu’a rapporté le marché du cloud entre janvier et mars 2021 (source Le marché du cloud a généré 42 milliards de dollars au premier trimestre 2021). Ce marché est clairement dominé par trois géants américains de la tech, Amazon, Microsoft et Google, ainsi qu’Alibaba en Chine. Aux USA, certains comparent leur position quasiment inexpugnable à celle des trois grands constructeurs automobiles de Detroit, Ford, General Motors et Chrysler, il y a un siècle.
Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud détiennent à eux trois plus de la moitié du marché du cloud. Source : Canalys
Un train inarrêtable !
OK, on a bien compris que le marché du cloud était désormais comme un train lancé à grande vitesse : on ne va pas l’arrêter de sitôt…
Donc, pour les retardataires” de la vague “mettons-nous au cloud”, il reste à faire le bon choix et éviter les erreurs les plus grossières. Et certains commencent à dire que le cloud représente un nouveau piège de l’enfermement comme on l’a connu par le passé avec IBM, Oracle ou Microsoft. En effet, si vous exploitez à fond les possibilités logicielles propres à AWS (par exemple), il est probable que la migration vers Azure (autre exemple) va vous poser quelques problèmes…
De même, développer des applications en s’appuyant sur l’environnement proposé par Salesforce est sans doute bien pratique mais va vous lier toujours plus avec ce fournisseur. Bref, pas besoin de vous donner d’autres exemples, vous avez compris l’idée.
Parlons des coûts du cloud…
La question de l’enfermement n’est pas la seule qui est désormais posée face à l’hégémonie croissante des géants du cloud, celle des coûts (des vrais coûts) est récemment revenue sur le tapis…
C’est ce qu’ont fait récemment les dirigeants d’Andreessen Horowitz, une société de capital-risque, en affirmant que le cloud menace de devenir un poids autour du cou des grandes entreprises. Martin Casado d’Andreessen Horowitz (co-auteur de l’article), explique cela dans “Le coût du cloud : un paradoxe de mille milliards de dollars”. Source The Cost of Cloud, a Trillion Dollar Paradox
Cet article pose une question à laquelle les entreprises devront réfléchir dans les années à venir. S’ils confient toutes leurs données, élément vital de l’économie numérique, à un oligopole de fournisseurs de cloud, quel contrôle ont-ils sur leurs coûts ?
Même Apple est concerné !
Le 29 juin dernier, Information, une publication technologique en ligne, a rapporté qu’Apple (oui, le fabricant de l’iPhone bien connu) est sur le point de dépenser 300 millions de dollars sur Google Cloud cette année, soit une augmentation de 50 % par rapport à 2020. Il utilise également AWS et ses propres centres de données pour gérer la demande débordante de ses services tels que iCloud. Soit dit en passant, on peut s’étonner qu’Apple n’ait pas été capable de suivre le mouvement est de devenir, elle aussi, un acteur important du marché du cloud… Après tout, même Microsoft (et, dans une moindre mesure, IBM…) en ont été capables !
Bref, la firme à la pomme dépense beaucoup pour ses besoins de ressources cloud. On ne va pas pleurer pour eux vu le prix de leurs produits mais c’est tout de même significatif d’une tendance. Le directeur de l’exploitation d’une grande entreprise de logiciels a déclaré à Information que la trajectoire actuelle des coûts du cloud est “insoutenable”…
La perspective d’un « rapatriement »
L’une des raisons pour lesquelles Andreessen Horowitz a déclenché une tempête avec son article c’est parce qu’il suggère la perspective d’un “rapatriement”. Arguant que les entreprises pourraient conomiser des sommes considérables, il préconise aux organisations de ramener leurs données du cloud vers leurs propres serveurs. Il met en avant l’exemple de Dropbox, une société de partage de fichiers qui a déclaré en 2017 avoir économisé 75 millions de dollars au cours des deux années précédant son introduction en bourse, principalement en récupérant des charges de travail du cloud.
Rapatriement ?
Avant d’aller plus loin et d’examiner les tenants et aboutissants de cette notion de “rapatriement”, je ne peux m’empêcher d’admirer le dynamisme sans cesse renouvelé du marché informatique… à peine la victoire totale (ou quasi totale, allez) du cloud est-elle proclamée urbi et orbi qu’on s’active déjà à trouver par quoi le remplacer !
Avouez qu’il a de quoi être ébahi, non ?
Le Edge Computing n’avait pas pris, voilà que le grand rapatriement est annoncé comme LA solution aux abus du cloud… On vit une époque magnifique, non ?
L’exemple de Dropbox
Bref, qu’Andreessen Horowitz mette en avant l’exemple de Dropbox pour justifier leur thèse, pourquoi pas. Cela dit, construire une infrastructure de cette taille à partir de zéro est une tâche ridiculement difficile. Et ce n’est certainement pas pour tout le monde.
Certes, pendant des années, les géants de l’Internet comme Google, Facebook, Microsoft et Amazon ont conçu leur propre matériel pour leurs datacenters : serveurs informatiques, commutateurs réseau et, dans certains cas, du matériel pour stocker des quantités massives de données. Pourquoi ont-ils procédé ainsi ?
Selon certains, ces entreprises n’avaient d’autre choix que de construire tout cela : leurs infrastructures en ligne sont rapidement devenues si grandes que l’utilisation d’équipements traditionnels (on the shelf) était tout simplement trop chère et trop difficile. Ils avaient besoin d’une nouvelle génération de matériel moins cher, plus simple et plus malléable. Ils l’ont donc construit, en collaboration avec des fabricants de matériel informatique et des fournisseurs de pièces détachées en Asie et ailleurs.
Les GAFAM sont aussi des constructeurs !
Aujourd’hui, Google construit plus de serveurs que presque n’importe qui sur Terre. Et il ne vend même pas ses serveurs. Il en va de même pour Amazon et Microsoft. Ces deux derniers en sont même à concevoir leur propres processeurs (fabriqués par TSMC bien sûr !). Cette nouvelle vague de composants n’est pas inaccessible car Facebook le premier a ouvert les conceptions de son équipement sur mesure. Désormais, n’importe quelle organisation qui le désire peut se procurer les mêmes serveurs de Facebook en passant par QCT (Quanta Cloud Technology) par exemple.
QCT est un fournisseur de matériel de centre de données et de solutions cloud utilisées par des opérateurs tels que Facebook et Rackspace. Conjointement avec sa société mère, Quanta Computer, QCT vend environ un serveur sur sept fabriqué dans le monde. QCT est l’un des premiers contributeurs à l’Open Compute Project, une organisation à but non lucratif lancée par les ingénieurs de Facebook pour ouvrir la source des conceptions de produits de centre de données.
Le périple réussi de Dropbox
Le rapatriement réussi de Dropbox ne doit pas forcément inciter les autres organisations à l’imiter toutes affaires cessantes !
Car l’ensemble du processus a duré deux ans. Un projet comme celui-ci, il va sans dire, est un vrai défi technique, mais c’est aussi un défi logistique. En effet, déplacer autant de données sur Internet est une chose (il y avait au moins 500 pétaoctets de données à récupérer…). Mais déplacer autant de machines dans des nouveaux centres de données en est une autre. Et ils devaient faire les deux, car Dropbox continuait de servir des centaines de millions de personnes pendant son opération de rapatriement qui, cela va sans dire, était exécutée discrétement. Le niveau de difficulté de toutes ces opérations cumulées correspondait, selon l’analogie bien connue, à changer un moteur d’un avion en plein vol…
Comme les GAFAM déjà évoqués, Dropbox a aussi développé des solutions personnalisées pour ses besoins, que ce soit côté logiciel mais aussi côté matériel. Dropbox a en effet bâti ses propres machines : des boites de 45 cm x 105 cm x 15 cm baptisées « Diskotech » et capables de stocker un pétaoctet de données.
Les fameux serveurs Diskotech fabriqué par Dropbox…
Par dessus, du logiciel, appelé lui « Magic Pocket » comme le projet de migration, a aussi été adapté aux besoins de Dropbox. D’abord, le langage « Go » de Google a été utilisé, mais finalement « Rust » lui a été préféré, pour des raisons de consommation de mémoire.
Le rapatriement serait un “mythe urbain”
L’histoire de Dropbox est intéressante voire même rassurante : elle prouve que le choix du cloud est “réversible”. Mais cette réversibilité ne se fait pas sans efforts (loin s’en faut !) même si la plupart des organisations ayant recours au cloud ont des besoins plus modestes que ceux de Dropbox en matière de stockage, entre autres. Il n’y a actuellement pas grand-chose qui suggère que la ruée des organisations vers le cloud soit en train de ralentir.
Gartner prévoit même que les dépenses mondiales en services cloud augmenteront encore de près d’un quart cette année, pour atteindre plus de 330 milliards de dollars. Le rapatriement est « un mythe urbain », explique Sid Nag, vice-président de la recherche chez Gartner. « Nous ne le voyons tout simplement pas sur le terrain ».
Payer sans gérer n’est pas durable
Clairement, nous ne recommandons pas de procéder à des rapatriements complets. Le fait qu’ils soit désormais plus facile de construire ses propres serveurs est intéressant mais cela ne représente qu’une partie de l’effort nécessaire pour détenir et utiliser avec profit son propre datacenter.
Cependant, continuer à écrire des chèques en blanc aux fournisseurs de cloud n’est pas non plus durable. Plus les entreprises adoptent le cloud computing, plus elles doivent gérer ses coûts avec soin. L’attitude consistant à laisser la lumière allumée et les robinets ouverts était déjà tout juste acceptable lors de la phase de découverte du cloud, elle n’est désormais plus admissible. L’utilisation des services du cloud doit être gérée et avec soin, s’il vous plaît. Nous l’avons déjà évoqué dans notre précédente chronique, Les “cloud management platforms”, compléments utiles de votre gestion multicloud.
Surveiller les coûts, une problématique en hausse
Tout comme le fameux Kubernetes, on commence à voir apparaître des projets Open Source comme Prometheus sont justement dédiés à cette problématique : la surveillance des coûts du cloud. Le fait que Prometheus soit un projet Open Source est une garantie vis-à-vis de l’indépendance du logiciel face aux fournisseurs dominants. Petit à petit, tous les outils nécessaires à une bonne et saine gestion du cloud deviennent disponibles. Ne manque plus que la volonté de s’en servir…