Introduction
Dans les médias ces derniers temps, vous avez certainement déjà lu une annonce de ce type : “bienvenue dans le Metaverse, un ensemble de réalités numériques alternatives où les gens travaillent, jouent et socialisent. Vous pouvez l’appeler le metaverse, le monde miroir, l’AR Cloud, le Magicverse ou l’internet spatial (déjà, on voit que la multitude de noms et même la façon d’écrire “Metaverse” -comme “métavers” ou autre- montre bien que la chose en question n’est pas encore claire pour tout le monde !), mais ce qui est sûr, cela arrive et c’est une grosse, une énorme affaire. Voilà, le Metaverse (c’est ainsi que je vais l’écrire ici) est annoncé et promu aussitôt comme la nouvelle grande affaire de l’informatique (the next big thing).
C’est déjà clairement une mode, LA nouvelle mode (on en plein “Metaverse washing”, cet article le prouve bien => Cette vidéo de shopping en réalité virtuelle montre que le Métaverse ne veut rien dire – Numerama). Et comme toujours dans ce cas là, c’est la règle des 80/20 qui s’applique : 80% de ce qu’on peut voir (sur YouTube par exemple) et lire est sans intérêt (dans le meilleur des cas) ou simplement complètement délirant (dans le pire des cas hélas trop fréquent). Le déferlement médiatique qui a suivi les annonces d’octobre 2021 de Facebook/Meta a surtout donné lieu à des articles médiocres où l’on n’apprend pas grand-chose (quelques brillantes exceptions tout de même : les articles de Fred Cavazza sur le sujet, à la fois précis et équilibrés, ici, là et là…).
Le Metaverse est donc en train de s’imposer comme une perspective incontournable du monde numérique (certains prétendent même que c’est “l’avenir de l’Internet” ce qui est sans doute tout à la fois prématuré et exagéré). C’est effectivement une perspective excitante même si les médias anticipent bien trop vite son arrivée effective (il faudra encore plusieurs années de développement et de mise au point, au minimum).
Précisons aussi que j’ai pris le temps de bien me documenter sur le sujet avant d’écrire à son propos (d’où mon arrivée un peu tardive sur cette “scène”). Et, justement, il y avait beaucoup à lire : du bon (un peu : Fred Cavazza et Matthew Ball) et du moins bon, voire carrément loufoque (tout le reste ou presque). Donc, s’il faut parler du Metaverse (et il semble qu’il y ait une grosse attente à ce propos), tâchons au moins d’anticiper correctement et surtout d’appliquer les leçons du passé durement apprises…
Une chronique en deux volets
Cette série de chroniques va s’articuler en deux parties :
D’abord, nous nous attacherons à définir ce que pourrait être le Metaverse ce qui n’est pas évident tellement le concept est nébuleux. De plus, les interprétations de ce concept varient beaucoup selon les points de vue des nombreux experts auto-proclamés. Pas évident d’en faire le tri et d’en extraire un semblant de consensus, comme on va le voir.
Ensuite nous constaterons que le Metaverse doit surtout se conjuguer au futur et même à un “futur conditionnel”. En effet, les obstacles techniques sont nombreux et variés comme nous le verrons et il n’est pas évident que la vision des promoteurs enthousiastes de ce concept se traduise en réalité, certainement pas à court terme et sans doute même pas à moyen terme.
On en profitera aussi pour aborder la notion de Web3 qui pointe son nez et qui revendique elle aussi une place majeure dans l’avenir du Web (si ce n’est de l’Internet tout entier). Là aussi, il y a beaucoup à dire et pas forcément dans le sens de ses promoteurs…
Allez, on plonge dans le Metaverse… Accrochez-vous, ça va secouer !
1- Metaverse, une définition ?
Dans cette première partie, nous allons ici et maintenant nous attacher à définir ce que pourrait être ou même devrait être le Metaverse pour mériter son nom…
Un concept encore nébuleux
Pour le moment, le moins qu’on puisse dire, c’est le Metaverse est encore un concept nébuleux : il y a ceux qui considèrent qu’il est déjà là (c’est l’Internet au sens large) et ceux qui le voient comme le triomphe de l’Internet des objets où le Métaverse serait partout autour de nous, y compris dans la réalité physique (encore une autre déclinaison du concept de “l’informatique omniprésente ou pervasive computing” que je vous ai déjà et souvent évoqué dans ces chroniques). Bref, tout cela ajoute de la confusion à la confusion et rend cette notion de Metaverse encore plus lointaine et étrangère.
D’ailleurs, cette confusion est assez répandue si on en croit cet article de L’usine Digital :
Alors de quoi parle-t-on en fait ? D’un jumeau numérique du monde réel agrémenté d’applications localisées ou pas ? D’une série de MMORPGs déguisés dont les gameplays iraient de l’hyper casual au hardcore gamer et qui seraient connectés et interopérables malgré des mondes, personnages, styles de jeu très différents ? D’un canal supplémentaire pour le commerce qui n’offrirait ni la rapidité et la praticité de l’achat en ligne existant, ni le plaisir de vraiment faire les magasins ? C’est apparemment un amalgame de tout ça, sorte de gloubi-boulga dans lequel on peut tout mettre et qui fonctionnera parce que… parce que… « Heu, faites-nous confiance ! » On a du mal à comprendre l’intérêt d’un tel concept, et surtout sa mise en pratique effective.
L’Usine Digital affiche une perplexité assez négative mais cela peut se comprendre étant donné le déferlement actuel qui est effectivement assez irritant. Ceci étant posé, quelle définition peut-on/doit-on donner à ce concept qui fait tant rêver et parler ?
Selon Wikipedia, le Metaverse (également appelé “cyberespace” ou “web 3D”) sera un environnement virtuel qui hébergera une communauté d’utilisateurs présents sous forme d’avatars pouvant s’y déplacer et y interagir socialement. On notera que cette définition est au futur… car actuellement, rien de concret ne s’en approche encore, même de loin (au moins pour ce qui concerne des grands nombre d’utilisateurs) !
D’après l’investisseur américain, Matthew Ball, auteur de nombreux articles intéressants sur le sujet (que je citerai de nouveau un peu plus loin), ce sera un environnement virtuel, en temps réel, persistant (pas de début, pas de fin) et ouvert. De façon à ce que chaque utilisateur puisse transporter son avatar et ses biens d’un endroit du Metaverse à un autre, peu importe qui en gère cette partie. Le métavers, pour être crédible, devra rassembler au moins les deux caractéristiques suivantes :
- un environnement 3D photo-réaliste (pour pouvoir tromper l’oeil car, pour donner à croire, il faut donner à voir…);
- une expérience immersive (pour pouvoir tromper les autres sens, si ce n’est tous, au moins certains afin de renforcer l’impression “d’y être pour de bon !”).
Avec ces deux points, on pose les bases minima mais le Metaverse va prétendre à bien plus qu’être simplement une expérience de réalité virtuelle (VR) crédible…
Poussons plus loin
Matthew Ball propose une définition plus complète et plutôt intéressante… Voyons cela (j’ai édité l’ensemble de son texte, ajouté quelques commentaires et simplifié certains points). Selon Matthew, pour être qualifié de Metaverse, l’environnement candidat devra présenter les points suivants :
- Être persistant – c’est-à-dire qu’il ne « se réinitialise » jamais ou ne « s’arrête » ou ne se « termine », il continue juste indéfiniment.
- Être synchrone et en direct – même si des événements préprogrammés et autonomes se produiront, comme ils le font dans la “vraie vie”, le Metaverse sera une expérience vivante qui existe de manière cohérente pour tout le monde et en temps réel.
- Être sans aucun plafond pour les utilisateurs simultanés, tout en offrant à chaque utilisateur un sentiment individuel de “présence” : tout le monde peut faire partie du Metaverse et participer à un événement/lieu/activité spécifique ensemble, en même temps. Commentaire : cet aspect (sans aucun plafond) est particulièrement délicat car il implique que le Metaverse (et son infrastructure) sera capable de “monter en charge” jusqu’à des niveaux encore inconnus aujourd’hui…
- Être une économie pleinement fonctionnelle : les individus et les entreprises pourront créer, posséder, investir, vendre et être récompensés pour un éventail incroyablement large de “travail” qui produit une “valeur” reconnue par les autres.
- Être une expérience qui couvre à la fois les mondes numérique et physique, les réseaux/expériences privés et publics et les plateformes ouvertes et fermées. Commentaire : ce point-là n’est pas très clair : cela implique-t-il que le Metaverse a des prolongements (?) dans notre univers physique et si oui, comment ?
- Offrir une interopérabilité sans précédent des données, des éléments/actifs numériques, du contenu, etc. Et ce dans chacune de ces expériences – votre skin d’arme Counter-Strike, par exemple, pourrait également être utilisé pour décorer une arme dans Fortnite, ou être offert à un ami sur Facebook. De même, une voiture conçue pour Rocket League (ou même pour le site Web de Porsche) pourrait être amenée à rouler dans Roblox. Aujourd’hui, le monde numérique agit essentiellement comme s’il s’agissait d’un centre commercial où chaque magasin utiliserait sa propre monnaie, exigerait des cartes d’identité propriétaires, aurait des unités de mesure propriétaires pour des objets comme les chaussures ou les calories, et différents codes vestimentaires, etc.
Commentaire : ce point précis est clé car si la tendance “chacun pour soi et chacun de son côté” se confirme, nous n’aurons pas UN Metaverse mais DES Metaverse ce qui est tout de suite beaucoup moins bien… - Être peuplé de “contenus” et “d’expériences” créés et exploités par un éventail incroyablement large de contributeurs, dont certains sont des individus indépendants, tandis que d’autres peuvent être des groupes organisés de manière informelle ou des entreprises à vocation commerciale.
La définition de Matthew est très détaillée (quoique certains points mériteraient d’être précisés…) mais, de façon intéressante, celle de Fred Cavazza en est assez proche tout en étant plus succincte :
“Un Metaverse est un monde virtuel immersif où des avatars vivent des expériences dans des environnements persistants”. Plusieurs points importants sont à prendre en compte dans cette définition :
- L’univers est généré par un ordinateur (ce ne sont pas simplement des éléments virtuels incrustés dans un environnement réel, comme dans la réalité augmentée);
- Cette simulation est en 3D, sinon l’immersion est trop faible;
- Les utilisateurs dirigent des avatars (réalistes ou non) pour vivre des expériences ludiques, sociales, professionnelles… (il n’y a pas que le jeu ou le travail, mais les deux et plus encore);
- Ces environnements sont persistants, c’est-à-dire qu’ils continuent d’exister, dans le cloud, mais ce n’est pas forcément le cas des expériences qui peuvent être éphémères (ex : un concert).
On comprend tout de suite, en lisant ces définitions, que le Metaverse ne peut pas se résumer en une application tout comme Google Maps n’est pas l’Internet ni le Web en dépit de ses indéniables qualités. On comprend aussi que ce programme est assez ambitieux et certains points (voire tous) vont se heurter à des difficultés encore jamais vues, on y reviendra dans la seconde partie.
Ma définition à moi serait que le Metaverse va nous permettre de plonger “dans” l’Internet plutôt que simplement surfer “sur” le Web.
Donc, en résumé, le terme “Metaverse” peut être vu comme un raccourci pour une série de mondes virtuels interconnectés (et le fait que ces mondes soient reliés entre eux est tout à fait clé comme on le verra plus loin). Le Metaverse est à ces environnements numériques ce qu’Internet est aux sites Web (où le passage d’un site à l’autre est fluide et sans obstacle grâce à la compatibilité HTML et aux liens hypertextes). Au départ, il apparaîtra comme quelque chose de plus élaboré qu’un jeu vidéo mais évidemment moins que le monde physique. Le Metaverse va évoluer progressivement et, pourra contenir des environnements où nous gagnerons des crypto-monnaies (voire de l’argent réel ?). Nous pourrons y forger des relations profondes (tout comme avec les réseaux sociaux) et y éprouver des expériences inédites (c’est déjà le cas avec la VR). Il y aura aussi, inévitablement, une série d’effets négatifs que nous ne savons pas encore évaluer mais qui vont se pointer au fur et à mesure que le Metaverse va prendre de la place dans nos vies.
Mais, même si le Metaverse échoue à s’imposer (ce qui est tout à fait possible, comme on le verra dans la seconde partie), la simulation immersive, elle, finira par trouver sa place à terme (et là, il faut comprendre “le long terme”).
La simulation immersive, une proposition irrésistible
Car il faut comprendre le Metaverse comme une étape, un point de passage incontournable vers la simulation immersive. Cette dernière va encore se faire attendre mais elle a un potentiel immense. Voyons cela ensemble car cette perspective, à elle seule, justifie qu’on s’intéresse au Metaverse.
En effet, il est plus que probable que c’est dans le domaine de la “distraction” que le secteur économique va le plus avoir recours à la simulation immersive. En effet, regardez le succès actuel des différentes déclinaisons de ce qu’on appelle encore “les jeux vidéo” (voir à http://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_vidéo). Il suffit de regarder les chiffres pour se convaincre de l’importance croissante de ce secteur : l’industrie vidéoludique (c’est comme ça qu’on appelle ce secteur selon Wikipédia…) génère actuellement un revenu plus important que celui du cinéma et ceci depuis 1997. En 2007, le revenu global approchait les 40 milliards de dollars. En 2012, le chiffre d’affaires mondial de l’industrie atteint 60 milliards de dollars selon le SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo).
L’industrie vidéoludique serait ainsi la première industrie culturelle dans le monde. Le jeu le plus coûteux de l’histoire (fin 2013), GTA V, a coûté 270 millions de dollars (moitié production, moitié marketing) soit l’ordre de grandeur d’un blockbuster hollywoodien.
Selon Newzoo, une société d’études de marché, les consommateurs ont dépensé 178 milliards de dollars en jeux vidéo en 2020. En plus de s’amuser dans le jeu, de nombreux joueurs les utilisent pour rester en contact avec des amis éloignés. Et ils sont déjà heureux de dépenser de l’argent sur une propriété virtuelle. Newzoo pense qu’environ 75% des revenus de l’industrie proviennent de jeux qui permettent la vente de biens virtuels, tels que des bonus ou des vêtements pour les avatars des joueurs. Bref, cela représente déjà beaucoup d’argent et le Metaverse est une occasion d’en faire encore plus !
Les mondes virtuels sont déjà là
L’industrie du jeu vidéo vend des mondes virtuels depuis des années. EverQuest, un jeu en ligne lancé en 1999, comptait un demi-million d’abonnés à son apogée (les joueurs l’ont rapidement coopté pour socialiser, et même pour des mariages, ainsi que pour tuer des dragons). World of Warcraft, qui est arrivé cinq ans plus tard, a atteint 12 millions d’adeptes. De nos jours, 200 millions de personnes par mois fréquentent Roblox, un jeu vidéo centré sur la construction de type “bac à sable” (tout comme Minecraft d’ailleurs) et visant un public denfants et d’adolescents.
L’industrie du jeu vidéo expérimente les mondes virtuels depuis des décennies déjà, explorant de ce fait comment les joueurs les utilisent pour socialiser, créer et gérer des économies entières basées sur des biens virtuels. L’intérêt augmente et diminue à mesure que les ambitions de chaque génération se heurtent aux limitations techniques. Il y a des hauts et des bas mais la tendance est bien là, de plus en plus solide.
Pour les passionnés de Metaverse comme Matthew Ball (encore lui), les jeux en ligne tels que Roblox, Minecraft, Fortnite, Animal Crossing et World of Warcraft servent de preuve que les mondes virtuels immersifs peuvent être tout à la fois populaires et rentables (Roblox a publié ses résultats trimestriels le 8 novembre 2021: le nombre de joueurs quotidiens a augmenté de 31% en glissement annuel, à 47,3 millions, propulsant les revenus à 509 millions de dollars).
David Baszucki, cofondateur et patron de Roblox, a déclaré que la société avait prédit la montée de ce qu’on appelle maintenant le Metaverse lors de la rédaction de son premier business plan il y a 17 ans.
Et puis, il y a ceux qui ont déjà commencé comme Zepeto : modestement (pour le moment, c’est juste une application mobile), discrètement mais pas sans un certain succès. La plateforme (origine : Corée du sud), lancée en 2018, accueille déjà plus de 250 millions d’utilisateurs et utilisatrices, et surtout de nombreuses marques et influenceurs en tout genre. 250 millions, ce n’est pas négligeable, surtout pour un nom quasi-inconnu en France !
En Asie, sa popularité est impressionnante : l’application est déjà massivement utilisée en Corée du Sud, mais aussi au Japon, en Chine et en Indonésie.
La simulation immersive, autre nom pour le Metaverse
Donc, on a un moyen médiocre (pour dire le mieux) de se projeter dans un univers plus ou moins bien simulé (là encore, on reste gentil) et ça marche du tonnerre : des millions de gens (et pas que des jeunes) y passent un temps de plus en plus important tout en y dépensant une somme d’argent pas ridicule. Que se passera-t-il le jour où on pourra proposer une alternative autrement convaincante ?
Oui, vous m’avez bien compris, j’en reviens encore à la simulation, la vraie (celle qui permettra au Metaverse d’avoir sa crédibilité sensorielle). Le jour où on pourra vous proposer une plongée en immersion totale dans les univers simulés (spécialisés au début, généralistes ensuite), vous allez voir que l’offre va faire recette immédiatement (et ça sera le cas de le dire : les succès financiers des jeux vidéo actuels paraitront bien pâles en comparaison !).
Bien entendu, ce développement ne va pas arriver du jour au lendemain. Tout d’abord, la mise au point de la “simulation totale” va prendre un certain temps (mais sans doute sera-t-elle là avant la singularité technologique qui reste un horizon hypothétique alors que la simulation totale est une perspective très probable). Ensuite, les techniques d’immersion resteront compliquées et coûteuses pendant une période plus ou moins longue et ne seront pas à la disposition de tout un chacun avant des décennies.
Le Metaverse, royaume du freemium ?
En attendant, le Metaverse a un rôle à jouer qui n’est pas négligeable. On peut imaginer qu’à terme, on ait effectivement quelque chose qui ressemble à un Metaverse, qu’il soit proposé par Facebook ou un autre ou encore une alliance de différents acteurs (et c’est sans doute cette dernière option qui est la plus réaliste). Ce serait effectivement conforme à une certaine logique d’évolution. Du côté du business modèle pour rentabiliser ce Metaverse, beaucoup regardent ce qui se fait déjà sur les très grosses plateformes de jeux déjà évoquées. Les premières itérations du Metaverse seront sans doute, comme la tendance actuelle des jeux vidéo l’indique, le royaume du modèle freemium. Un royaume où il faudra payer pour se démarquer (rendre son avatar plus beau, lui adjoindre de nouvelles fonctionnalités…) à l’image de ce qui se fait déjà sur Fortnite où c’est tout un business du skin (ces enveloppes qui permettent de changer l’apparence de son avatar) qui s’est développée (Epic Games, l’éditeur annonce que les ventes de skins réalisées en novembre dernier à l’occasion d’un partenariat avec la NFL sont un succès: avec un total de 3,3 millions de skins vendus à 15 dollars l’unité, il a dégagé près de 50 millions de dollars de revenus en à peine deux mois). Gucci confirme la tendance en annonçant en juillet dernier un partenariat avec Roblox, permettant aux utilisateurs de la plateforme de gaming d’habiller leur avatar avec des “habits virtuels” de la marque bien connue.
Les expériences virtuelles sont avant tout des expériences car vécues comme telles…
De plus, la recherche a montré que les expériences virtuelles ne sont pas seulement virtuelles en ce qui concerne leur impact sur l’esprit. Elles sont simplement traitées comme des expériences authentiques, tout simplement. Lorsque vous rencontrez un allié qui vous a sauvé d’un adversaire dans un jeu en ligne multijoueur massif, et que vous commencez à parler et à engager une interaction significative, ce n’est pas une “amitié virtuelle”, c’est une amitié. Il n’y a rien de “virtuel” dans les revenus générés par le commerce de biens virtuels. Les athlètes de sports électroniques sont, en fait, des athlètes – ils se livrent à des actes de dextérité et de concentration aussi impressionnants que quiconque joue au golf ou au billard.
Dans le Metaverse, les gens ne se contentent pas de lire ou de regarder un monde imaginaire ; ils y interagissent. Ce n’est pas un lieu fictif mais un nouveau domaine avec de réelles opportunités sociales, économiques et politiques. Cela a le potentiel d’élargir notre régime intellectuel d’expériences bien au-delà de ce qui est possible dans le monde physique.
Donner à voir pour donner à croire…
On peut légitimement douter qu’un Metaverse conforme à la définition de Matthew Ball voie le jour à court terme mais on doit admettre que le marché de la réalité virtuelle est enfin en train de décoller, tant techniquement qu’économiquement…
Commençons par examiner le versant technique d’un des composants-clés du Metaverse en devenir : son périphérique de visualisation, le masque de VR (étant donné que les lunettes de réalité augmentée sont toujours en cours de mise au point actuellement).
C’est dans ce domaine-là que les progrès sont les plus spectaculaires avec des casques désormais en net progrès sur tous les plans par rapport aux débuts. Ici très clairement c’est le rachat d’Oculus par Facebook en 2014 qui a précipité les choses en générant une intense compétition dont les utilisateurs sont les premiers à bénéficier. Nous avons aujourd’hui du matériel très performant, en tout cas suffisamment performant pour que l’utilisateur y trouve son compte (cependant pas encore assez performant pour qu’on puisse parler de “photo-réalisme animé” sur le plan visuel). Mais souvenons-nous que le masque Oculus Quest n’en est qu’à sa seconde itération alors que nous en sommes à la 13e pour l’iPhone.
J’ai déjà une petite expérience de la VR : j’ai un Oculus Rift depuis 2018 et un Oculus Quest 2 depuis 2021, en plus d’un HP Reverb G2. Je me souviens avec une grande émotion de ma toute première expérience avec l’Oculus Rift : après avoir assemblé un PC capable de l’encaisser, j’ai pu mettre le masque et, miracle, j’étais dedans !
Oui, on ne peut mieux décrire cette sensation d’immersion que de dire “j’étais dedans”… Je suis resté de longues minutes à simplement regarder l’environnement autour de moi en riant de ravissement (au point que ma femme est venue voir ce qui se passait et m’a filmé lors de ces premières minutes). En 2018, j’ai organisé des “soirées VR” afin que mes voisins puissent découvrir ces sensations à leur tour : succès général avec Google Earth VR qui remportait tous les suffrages. Même mon épouse qui se disait hostile à “ce genre de truc” s’y est mise (là encore, grâce à l’expérience permise par Google Earth VR).
Aujourd’hui, j’ai renoncé à l’employer pour des simulations de pilotage (avion ou voiture de course) car l’exigence de ces logiciels est encore trop grande pour que la réalité virtuelle puisse se hisser à leur hauteur. Mais pour les quelques jeux qui ont été spécifiquement conçus dès le départ pour la VR (et seulement pour la VR, j’insiste !), c’est carrément génial et, une fois qu’on y a goûté, il n’y a pas de retour en arrière.
Donc, je suis complètement convaincu par l’attrait de l’immersion en 3D et je sais que, même si cela va prendre du temps, le succès (massif) viendra, tôt ou tard.
Les chiffres de la VR décollent enfin eux aussi
Si, aujourd’hui, le marché des casques de réalité virtuelle est encore relativement petit, les projections sont plutôt optimistes, car ce n’est qu’une question de temps avant que le matériel se démocratise (de moins en moins cher, de moins en moins contraignant sur le plan technique -plus de câble, pas besoin d’un PC surpuissant- et de plus en plus facile à utiliser). Le Quest 2 montre la marche à suivre : voilà un masque autonome de bonne facture et bien doté en jeux de toutes sortes.
D’autant que ce dernier est en train de décoller (enfin !) en termes de ventes (au point qu’on a qualifié la période de fin d’année de “noël de la VR”…) : Meta ne communique pas ses chiffres de vente, mais le 16 novembre 2021, Cristiano Amon, CEO de Qualcomm (qui fournit la puce Snapdragon XR2 du Quest 2), avait annoncé en passant que l’Oculus Quest 2 représentait 10 millions de ventes. Il avait rapidement précisé par la suite qu’il ne s’agissait que d’une estimation basée sur des études indépendantes, mais Qualcomm connaissant nécessairement et très précisément le nombre d’unités vendues du Quest 2 car il en fournit l’un des composants principaux, l’exactitude de l’information ne fait pas vraiment de doute (source https://www.usine-digitale.fr/article/en-cette-fin-d-annee-les-casques-de-realite-virtuelle-prennent-enfin-leur-essor.N1171732).
Une utilisation professionnelle aussi ?
Le Metaverse ne se cantonnera sans doute pas qu’au divertissement… Du moins, c’est ce qu’espère Meta avec le lancement de ses salles de réunion virtuelles, les Workrooms, auxquelles on accèdera via un masque Oculus Quest 2 (du moins, c’est ce qui est promis pour le moment). « D’une réunion Zoom, où les caméras statiques limitent les interactions, à une réunion Workroom, où l’interactivité serait plus forte, il n’y a qu’un pas qu’ils sont nombreux à vouloir franchir », assurait Andrew Bosworth (CTO de Meta), à l’occasion de la toute première présentation du concept. En effet, il est clair que pour s’imposer, le Metaverse doit pouvoir répondre à une grande diversité de besoins et ne pas se limiter à être un jeu vidéo immersif. La cible professionnelle fera donc partie des premières visées afin de ratisser large et de familiariser le plus de gens rapidement avec le concept. Mais, pour le moment, le moins qu’on puisse dire est que l’offre de Meta en la matière n’est guère engageante… La vidéo de démonstration de Workrooms avec ces “personnages troncs” est à la limite du ridicule :
https://www.facebook.com/watch/?v=367931074846464
Une autre approche avec Nvidia
La simulation est déjà utilisée par le monde professionnel comme en témoigne la solution Omniverse de Nvidia. Lancé officiellement en avril dernier, Omniverse est un espace de travail collaboratif en 3D permettant de créer des simulations réalistes et complexes à des fins diverses. Elle s’est par exemple associée à l’entreprise Lockheed Martin pour l’aider à mieux comprendre la propagation des feux de forêt en créant des simulations sur des “jumeaux numériques” de lieux réels. Elle permet également à Ericsson la construction de simulations à l’échelle de villes afin de simuler la répartition des antennes 5G avant déploiement pour assurer une couverture maximale. « Nous pensons que ces mondes virtuels seront l’élément qui permettra la prochaine ère d’innovation, qu’il s’agisse de faire de la visualisation et des aménagements pour les villes, de faire des simulations terrestres pour les modèles météorologiques, de la production numérique ou de la génération de données synthétiques pour les véhicules autonomes », a déclaré Richard Kerris, vice-président du développement de la plate-forme Omniverse. « Les mondes virtuels sont essentiels pour la prochaine génération d’innovation. Et nous avons construit Omniverse pour servir cela, cette opportunité ».
Ericsson teste les signaux de son réseau 5G sur Omniverse. Crédit image : Nvidia
Tout cela est bel et bon mais risque de tourner court si les acteurs concernés ne font pas l’effort de se concerter un minimum…
La question de l’intégration croisée
Si le Web est aujourd’hui construit sur des standards ouverts, il est en grande partie fermé et propriétaire dans les faits. Amazon, Facebook et Google utilisent des technologies similaires, mais ces sites n’ont pas été conçus pour permettre aux utilisateurs de passer l’une à l’autre avec leur contextes (quand vous cliquez sur un lien qui vous fait quitter le site d’origine, vous y laissez aussi tout le contexte accumulé… par exemple, le panier Amazon n’est pas transmis à Facebook si vous passez de l’un à l’autre). Ces entreprises sont incroyablement réticentes à l’intégration croisée de leurs systèmes ou au partage de leurs données. De tels mouvements pourraient augmenter la valeur globale de “l’économie numérique”, mais affaiblissent également leurs effets de réseau hyper précieux (pour elles !) et permettrait à un utilisateur de déplacer plus facilement sa vie numérique ailleurs (imaginez pouvoir emporter votre historique de messages Gmail vers un autre webmail… ).
Et pourtant, c’est bien de cela dont nous avons besoin pour éviter “l’effet de silos”
Priorité du Metaverse : éviter l’effet silos
Je ne vois pas en quoi créer différents jeux qui seraient connectés entre eux pourrait s’apparenter au métaverse. Il s’agit à mes yeux de contenus créés par des entreprises pour des utilisateurs. Pour que le métaverse existe, il doit être créé et géré par les personnes qui y vivent. ANYA KANEVSKY (SECOND LIFE).
Retournons un instant en 1994, juste avant “l’explosion” du Web. Lors de cette époque, le paysage “télématique” est dominé par AOL et, dans une moindre mesure, par Compuserve (il faut aussi mentionner le Minitel mais, comme nous le savons tous, il était limité à la France…). Ce duopole était significatif de “l’effet silos” que le Metaverse devra éviter s’il veut vraiment prospérer.
En effet, une fois connecté à AOL, il n’y avait aucun pont, aucune liaison pour profiter des ressources de Compuserve et vice-versa. Même si vous aviez un compte auprès de chaque fournisseur, il fallait forcément se déconnecter d’AOL pour aller sur Compuserve : les deux services étaient enfermés chacun dans son silo qui empêchait tous les partages.
Le Web a fait voler en éclat ce type de barrière. S’il avait fallu un navigateur estampillé Microsoft pour aller sur le site de Microsoft (et rien d’autre), je gage que le Web n’aurait pas connu le succès qu’il a eu. On peut facilement parier qu’il en sera de même pour le Metaverse : si l’accès à celui de Meta est strictement limité à ce dernier et ne permet pas de “sauter” à celui de Nvidia (par exemple), il est facile de deviner que ces silos ne se développeront pas autant que s’ils étaient reliés et partageaient leurs accès et leurs ressources.
Quelques voix discordantes, aussi…
L’enthousiasme vis-à-vis du Metaverse n’est quand même pas tout à fait universel, il y a aussi quelques voix qui se font entendre pour rejeter cette “vision dystopique” de notre futur. C’est le cas de John Hanke, Fondateur et CEO de Niantic qui a publié “The Metaverse is a Dystopian Nightmare. Let’s Build a Better Reality.”. Et aussi du journaliste Wes Fenlon de PC Gamer pour qui “The Metaverse is bullshit”, carrément !
La palme de l’écriture cruelle mais soignée sur ce sujet va sans conteste à Olivier Ezratty (notons au passage qu’Olivier ne se contente pas de critiquer le Metaverse : il met les NFT et le Web3 dans le même panier… et ça reste savoureux à lire !) :
Si la tendance 2021 se confirme, 2022 sera une belle année de “bullshit techs”, avec en premier lieu les NFT, le Web3 et les métavers. De vagues solutions en recherche de problèmes utiles à résoudre, qui sont au passage des gouffres à énergie sans nom. Je vais d’emblée jouer le boomer que je suis pour décalquer au mur ces tendances du moment. Nous sommes rentrés en plein Absurdistan tellement ces concepts sont foireux et nous éloignent du bon sens et, dans une certaine mesure, de notre humanité, pour ce qui est des métavers. Ils ont leur évidemment habituel lot de followers et il ne fait pas bon les contrarier. C’est l’art de rendre compliqué ce qui devrait être simple et de créer des contes de fées sans fées.
On notera au passage qu’on trouve toujours des partisans du statu-quo qui nous expliquent que l’interaction clavier-écran est largement suffisante pour toutes les utilisations futures de l’Internet et/ou du Metaverse… Mais, d’une façon générale, on peut quand même distinguer un consensus sur le potentiel (positif) du Metaverse à défaut d’être d’accord sur sa définition et sur la manière de le mettre en place…
Quel intérêt pour Facebook de se lancer là-dedans ?
Il est également aisé de deviner pourquoi Mark Zuckerberg (PDG et fondateur de Facebook, maintenant Meta) a lancé ce mouvement en octobre 2021 en renommant Facebook en Meta : il a clairement peur que Facebook soit arrivé au bout de son potentiel. Il connaît trop bien l’histoire du Web : MySpace, Yahoo! et AOL ne sont pas que des exemples d’obsolescence, ils incarnent véritablement le concept comme le dodo et le pigeon voyageur incarnent l’extinction.
Mark le sait et est déterminé à éviter le même sort. Facebook a donc annoncé une “renaissance” et c’est le Metaverse : la solution idéale pour éviter d’être “has been”.
Pour atteindre l’objectif d’un milliard d’utilisateurs en 2030, Meta annonce avoir investi dix milliards de dollars dans Facebook Reality Labs dès 2021, et probablement encore plus les années suivantes.
Si Mark se positionne résolument en pionnier du Metaverse, il n’est pas seul dans cet élan. En effet, de nombreuses autres entreprises se sont déjà lancées dans des projets concurrents avec des approches diverses (certaines sont contestables et ne reprennent du Metaverse que le nom… c’est l’effet Metaverse washing !) et des ressources plus ou moins importantes comme Microsoft (Minecraft, Halo, et Flight Simulator), Sony et Epic Games (Fortnite, Fall Guys), Ubisoft et Animoca Brands (Sandbox), Nvidia et BMW, Alibaba (Ali Metaverse, Taobao Metaverse, et Ding Ding Metaverse), Niantic (Lightship), Baidu (Xirang), ByteDance (Pico), Huawei (Perfect World), Sensorium (Galaxy), Tencent, Roblox, Decentraland, Enjin, Immutable X, Green Park, Metahero, CryptoVoxels, Somnium Space, Winkyverse, OVRLand, ainsi que les incontournables Google, Apple et Amazon.
Cela fait déjà une belle liste mais tous ne sont pas sincères ni sérieux (c’est l’effet de mode : il faut en parler même si on ne veut pas y aller…) et même parmi les convaincus, il n’y en aura qu’une petite poignée pour faire la démarche (coûteuse et compliquée) jusqu’au bout.
Une épopée qui s’annonce longue et difficile !
Il y aura de nombreux défis techniques (qu’on va examiner dans la seconde partie) et non-techniques que le Metaverse devra surmonter pour se construire et prospérer. Au vu de leurs ampleurs, il est facile de comprendre que ces évolutions vont prendre du temps, beaucoup de temps (dix ans minimum). Et c’est justement ce que nous allons explorer dans la seconde partie de cette chronique !